Damien Seguin, premier navigateur handisport à terminer le Vendée Globe, et Chris Ballois, recordman du monde de vitesse en kitesurf toutes catégories confondues malgré son handicap, excellent chacun dans leur discipline. Membres de la Team APICIL, ces athlètes de haut niveau refusent de s’arrêter aux catégories établies. Ils questionnent non seulement les frontières du sport, mais aussi la vision de la société sur le handicap, incarnant ainsi les valeurs d’inclusion et de performance chères à APICIL.
Des influences variées, une même passion pour la mer
Né en 1972 dans les Yvelines sans avant-bras gauche, Chris Ballois découvre d’abord les sports urbains. « J’étais plutôt skate et BMX », se souvient-il. C’est à la fin des années 80 que la planche à voile le séduit, le menant à intégrer le Top 10 des véliplanchistes français dans les années 90, avant de se tourner vers le kitesurf : « Le kitesurf apporte une dimension totalement nouvelle au sport nautique : une troisième dimension. Avec un vent de seulement 15 nœuds, on s’élève déjà à cinq ou six mètres au-dessus de l’eau. »
Damien Seguin, lui, est né sans main gauche. C’était en septembre 1979, à Briançon. Il grandit à la montagne dans une famille où le sport est omniprésent : « Je n’ai pas le souvenir de rester à la maison, ni pendant les vacances ni pour les week-ends. Ski de fond en hiver, triathlon l’été… J’ai grandi dans les backstages des compétitions de mon papa. » C’est un déménagement en Guadeloupe et la découverte de la Route du Rhum qui lui fait découvrir la voile, une discipline dans laquelle il va exceller : Triple médaillé paralympique en voile, il fait ses débuts dans la course au large en 2005 en Figaro, puis en Class 40, avant de rejoindre le circuit IMOCA en 2018 avec le Groupe APICIL.
L’inclusion par la pratique
Ce qui les rapproche, c’est leur attrait pour les sports mécaniques, où le matériel peut être adapté, comme l’explique Damien Seguin :
« Le sport mécanique m’a plu, car je pouvais adapter le bateau à mon handicap. Je pouvais gommer ce handicap et manier mon bateau comme les autres. »
Une intégration d’autant plus naturelle que leurs disciplines se distinguent par leur ouverture d’esprit, selon Chris Ballois : « L’intégration dans le monde de la planche à voile et du kitesurf a été facile pour moi. D’abord, comme dans beaucoup de sports outdoor, le corps est mis à nu, il n’y a pas de fausse pudeur dans le rapport au corps. Et puis, ce sont des sports de voyage. Les pratiquants de ces disciplines partagent souvent une vision extrêmement ouverte de la différence, qu’il s’agisse de culture, de langue, de religion ou de couleur de peau… Tout cela participe à une inclusion complètement naturelle. »
Des performances qui changent les mentalités
Si leurs communautés sportives respectives les ont accueillis sans préjugés, les institutions se sont parfois montrées plus réticentes. Ainsi, en 2018, Chris Ballois devient recordman du monde de vitesse toutes catégories confondues sur le Mille Nautique en kitesurf, après avoir dû batailler :
« L’instance qui valide les records du monde de vitesse sur l’eau n’avait d’abord pas voulu enregistrer mes essais car il n’y avait pas de catégorie handisport… Qu’à cela ne tienne, j’ai concouru pour le record des valides ! »
Expert en navigation longue distance, il enchaîne les exploits : record entre Saint-Malo et Jersey, traversée de 470 km entre Brest et Lorient en kitesurf.
Damien Seguin a dû mener un combat similaire pour accéder aux courses au large : « Il a fallu que je démontre mes capacités plus que les autres. Il y avait une vision rétrograde du handicap dans le domaine de la course au large, liée, entre autres, aux questions d’assurance. Je n’avais pas le droit de concourir, et ça a été difficile à vivre. Finalement, les choses ont évolué… On a réussi à faire changer les critères. Désormais, ce n’est plus une question de handicap, mais de capacités à faire telle ou telle chose. Par exemple, moi, à l’eau, je sais remonter sur mon bateau, ce qu’une personne valide ne sait pas faire sans entraînement. Autrement dit, aujourd’hui, on se concentre sur la capacité à faire les choses, plutôt que sur une supposée capacité à les faire. »
En 2021, Damien Seguin marque l’histoire en terminant 7e du Vendée Globe, sa plus grande fierté : « C’est la compétition la plus exigeante qui existe sur notre type de bateau, il n’y a aucun équivalent. Réussir à se qualifier, être au départ et franchir la ligne d’arrivée, c’est quelque chose d’exceptionnel. Dans l’histoire, seuls 155 marins ont réussi à faire un tour du monde en solitaire. Mais au-delà de la performance personnelle, c’est aussi une manière d’ouvrir la voie à d’autres sportifs, comme le skipper paralympique chinois Jingkun Xu qui participe au Vendée Globe 2024. Il fallait un premier, je l’ai été. Mais je ne suis plus tout seul désormais… »
Au-delà du sport, un message d’ouverture
À travers leurs performances exceptionnelles, tous deux sont conscients de leur rôle dans le changement de regard sur le handicap. Chris Ballois, également conférencier et consultant en entreprise, partage son expérience sur la performance, l’optimisation des compétences et le dépassement de soi. Son message est clair : il faut changer notre façon d’appréhender le handicap.
« La première chose à faire, ce n’est pas de présumer des difficultés qu’une personne pourrait rencontrer, mais plutôt de lui demander : “Est-ce que tu te sens capable de relever ce défi ?” Peut-être aura-t-elle besoin d’une assistance technique ou d’un accompagnement, mais l’essentiel est de ne jamais dire “c’est impossible” ou “tu n’as pas le droit d’essayer”. »
Chris Ballois
Eux qui concourent – et performent – parmi les valides depuis de nombreuses années, quel regard portent-ils sur le handisport ? Chris Ballois et Damien Seguin reconnaissent le rôle essentiel du handisport pour de nombreux athlètes, mais ils militent pour plus de mixité quand c’est possible. « La fusion des JO et des Jeux Paralympiques ? Oui et non », nuance ainsi Damien Seguin. « Oui, car c’est un rêve en termes d’inclusion, mais non, car il faut être réaliste. Cela ne peut pas toujours fonctionner. Certaines disciplines nécessitent des catégories spécifiques. » Chris Ballois, lui, imagine des solutions intermédiaires : « On pourrait imaginer des épreuves olympiques et paralympiques organisées sur les mêmes journées, de manière alternée par exemple, ou des compétitions où tous les athlètes concourent ensemble, mais avec des classements distincts… En fait, l’essentiel, c’est d’être tous réunis sur la même ligne de départ et de partager les mêmes moments de sport. »
« La grande force de nos civilisations, c’est leur diversité »
Damien Seguin
À travers leurs parcours, ces deux champions prouvent qu’il est possible de dépasser les catégories traditionnelles du sport et de la société. Comme le résume le skipper : « Nous avons réussi à sortir de nos boîtes respectives, à dépasser les catégories qu’on voulait nous imposer, ça a permis de montrer que cette notion de boîte, de case, n’a aucun sens. » Une leçon qui invite à repenser notre vision du handicap, et plus largement, notre façon de percevoir les capacités de chacun.